- Thiery Brodeur
Generation to Generation – 2015-2017
Au-delà de la méthode
Il est intéressant de constater combien, dans ce type de projet, ce n’est pas seulement la complémentarité des méthodes d’apprentissage artistique qui est révélatrice d’une façon de faire du théâtre avec des adolescents. Il importe de voir que des méthodes totalement différentes, basées sur des apprentissages qui ne se ressemblent nullement, arrivent à dégager des forces de proposition et des regards de convergence sociale et politique presque identiques pour le spectateur. C’est rassurant. Cela montre que le rapport et l’intégration de sens dans notre travail avec des adolescents est la source de nos échanges et que la méthode ne vient que légèrement infléchir la vision du spectateur. Pour chacune des équipes, notre vision de la société transmise par la jeunesse dépasse largement le cadre de nos enseignements. Nous avons affaire à une problématique de convergence commune de nos réflexions plus que de nos pratiques.
Essayons d’en analyser les contenants : à savoir comment chaque « mentor » envisage sa responsabilité, à la fois quant à son enseignement mais aussi son implication dans les thématiques abordées. Nous avons, en effet, choisi d’avoir un thème commun à chacune de nos rencontres – (1) absence de l’un des parents, (2) Travels – le voyage (même utopique), le déplacement, – (3) inclusions –, thèmes plus ou moins respectés mais toujours librement considérés et travaillés comme tel. Chaque partenaire a présenté des choix dramaturgiques forts, des implications volontaires des jeunes, engagées, car les préoccupations et la responsabilité des équipes n’étaient pas anonymes. Comme si cette responsabilité vis à vis de notre travail d’enseignement était plus importante par sa portée humaine et sociale que par la méthode artistique. Tant mieux. Ça n’est pas rien d’entraîner des jeunes dans une aventure qui est faite à la fois pour les :
rencontre dynamique de son corps – avec les différents workshops qui ont induit des façons originales, enthousiastes, impliquées, de la part des jeunes comme de ceux qui les ont animés -,
rencontre entre eux, ce qui prouve que l’individu, en groupe, arrive toujours à trouver l’énergie de communiquer, d’échanger et d’apprendre ensemble. La jeunesse a des codes qui lui permet, de façon inattendue, de créer du lien. Un lien qui va au-delà du raisonnement et de la pratique artistique pour aborder avant tout la question de l’intégration de nos différences. La méthode n’est pas toujours explicable mais le résultat est là.
rencontre avec d’autres jeunes spectateurs, ce vis à vis intelligent car dénué d’intérêt artistique primaire – pas de « calcul », ni de référence, ni d’évaluation culturelle, mais un miroir de la société qui interroge, qui donne du sens à l’échange vivant.
Ce lieu de la représentation est symbolique. Il donne à voir le monde, sans hiérarchie, ni conformisme. Ce lieu annule les différences et les partis-pris. Il abolie le « savoir-faire savant » pour ne garder que la part émotionnelle des acteurs-adolescents.
Les temps de rencontre
On s’est aperçu que ces temps d’échange devaient s’organiser et s’inventer à la fois. Je veux dire que le mélange entre un calendrier de rendez-vous de travail, d’ateliers et de performants, et des temps d’échanges libres et désorganisés, est essentiel.
A chaque fois, nous avons vu se créer des fulgurances de complicité, voire des moments d’intimité complice, des façons fougueuses de réunir sa pensée : tout ce qui caractérise la jeunesse dans son besoin de brûler la vie en des moments de grande intensité, de ramener un part du monde à soi quand on a 17 ans, une vraie force utopiste qui se met en marche pour défier un peu la société.
Voilà ce qui me paraît important dans ces rencontres entre les partenaires du projet G2G. Chacun a organisé du mieux qu’il a pensé son implication. Des moments originaux ont été vécus, avec, à chaque fois, une vérité qui sautait à la figure : pour qui et avec qui faisons-nous cela ? Quelle meilleure implication de notre environnement pouvons-nous solliciter afin de nous mettre en ordre de bataille pour l’avenir ?
Cette bataille, – qui équivaut à une réelle convinction, un intérêt déterminé -, nous l’avons engagée par des formes vivantes, comme celles que nous avons proposées, chacune respectant l’autre, l’approfondissant ou l’intensifiant, mais aussi lui permettant d’entrevoir ses limites, ses manques. Ce qui était important, c’était l’implication à la fois de ces temps de partage dans notre analyse, mais aussi les besoins que cela a révélés, les envies de mieux faire.
Nous avons réussi à expliquer, à impliquer, presque à chacune de nos rencontres, de nouveaux partenaires potentiels. Ceux-là sont venus et ont vu. Ils ont compris que c’est par cette acceptation de nos différences, tant dans la méthode que dans le temps d’implication, qui faisait la force de nos propos et que l’éducation artistique est ainsi, doit être ainsi : une véritable et forte égalité des chances pour chacun, afin de retrouver, par des actes de création ou d’implication artistique, le chemin du partage, du respect de l’autre.
Notre travail commun a permis de créer un nouveau réseau à cette jeunesse et a favorisé des liens originaux, au service d’une Europe à construire avec eux. Nos structures culturelles découvrent, entrouvrent ou poursuivent des parcours citoyens. C’est là le cœur de notre travail de construction d’individus au sein de la Communauté. Ce ne sont pas nos méthodes qui apportent la solution mais bien notre début de réflexion et de construction de ces parcours forts, au service de la partie cachée de l’art – celle qui n’évalue pas mais valorise, celle qui échappe au professionnalisme radical, excluant -. Sans jauger l’autre, c’est bien cette partie-là qui nous intéresse, qui nous rapproche, les uns et les autres.
L’horizon
Nos méthodes de travail, d’accompagnement et d’apprentissage rassemblent beaucoup de valeurs communes. Celles-ci, au service des jeunes, fabriquent des parcours individuels dont on ne peut mesurer, aujourd’hui, toute la force. Mais on en mesure toute l’intégrité qui apparaît chez beaucoup de jeunes gens. Et cette façon de tracer une voie de réflexion éclairante n’est pas un aboutissement mais une manière forte de porter ces valeurs d’accompagnement de la jeunesse. Nous souhaitons désormais poursuivre ce projet, et les réflexions et expérimentations qui y sont liées, par le biais d’Id: Babylon.
Thiery Brodeur
Éditeur Principal Et Auteur Chez de TDP
Scoville Jolicoeur
Éditeur en Chef chez de TDP